La peinture et la danse
Voici quelques pensées choisies après vingt années de peinture au service du mouvement et de la danse. Pensées en escalier : nous irons voir Picasso, nous monterons à cheval, nous danserons en colimaçon…Prêt(e) pour le voyage ?
La danse et la peinture : un amour impossible ?
Selon l’écrivain et poète Paul Valéry, la danse serait un ornement de la durée alors que la peinture serait un ornement de l’espace.
Ces deux arts seraient donc condamnés à ne jamais se rencontrer -l’un coincé dans le temps, l’autre dans l’espace- comme le petit poisson et le petit oiseau de la chanson ?
Pourtant la peinture courtise la danse depuis toujours.
Que ce diable génial de Picasso danse dans son atelier pieds et torse nus n’étonne personne. Il renoue avec son enfance.
Quand j’étais enfant, je dessinais comme Raphaël mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. – Pablo Picasso
Des danseuses de cirque des années 1900 aux danses érotiques du dernier Picasso, en passant par les scènes de bacchanales des années 1940 à 1960, tout a semblé prétexte à représenter des corps en mouvement. La dynamique du mouvement dansé a ainsi traversé toute l’œuvre du maître, allant parfois jusqu’à alimenter son geste artistique (voir le film « Le mystère Picasso » de Clouzot)
Edgar Degas avant lui a pris son motif sur la danse. Aux scènes de préparation des danseuses, je préfère les scènes de mouvements comme la perspective plongeante audacieuse de « Danseuse inclinée », ou les mouvements semblables et répétés des « Danseuses bleues ».
Restons avec Edgar Degas, mais éloignons-nous une seconde de la danse avec ses magnifiques chevaux de « Avant la course » (1884). Que se passe-t-il si on le met côte à côte avec le tableau d’ Eugène Delacroix, le Derby d’Epsom (1821) ?
Remarquez-vous quelque chose de bizarre dans ce galop de Delacroix « les quatre fers en l’air » ? C’est qu’à l’œil nu, il est bien difficile de décrire précisément la position des sabots sur le sol. Cette juste compréhension du mouvement du cheval, savez-vous à qui on la doit ?
La chronophotographie
A la rencontre fortuite d’une nouvelle invention, la photographie, d’un nouvel outil, le fusil à photographier par le travail conjoint d’un français Jules-Etienne Marey et d’un britannique Eadweard Muybridge. La chronophotographie est née qui permet d’observer la décomposition des mouvements : galop d’un cheval, envol d’un oiseau, descente de l’escalier d’une femme.
Comment ne pas faire de lien entre cette chronophotographie et le « Nu descendant l’escalier » du jeune Marcel Duchamp en 1911 (âgé de 24 ans alors).
Ces chronophotographies sont à la fois témoins fidèles et artifices pleins d’étrangeté. Elles permettent une vue totalement inhabituelle sur un geste ordinaire. Elles établissent un pont entre la science et l’art. Elles réunissent discontinuité et illusion de mouvement, exactitude et rêverie poétique, utilité scientifique et esthétique. Elles offrent une vision paradoxale et totalement nouvelle, source d’inspiration de Duchamp et de bien d’autres.
La danse à l’aube du 20ème siècle
Mais revenons à nos moutons, la peinture et la danse, je vous emmène à Paris au Bal du Moulin Rouge sur invitation de notre ami Henri de Toulouse-Lautrec.
Admirons ce dessin si juste, ironique mais tendre, réaliste mais joyeux. Voilà bien pour moi le plus grand dessinateur et peintre du mouvement.
D’affiche en affiche, allons admirer les affiches créées par Jules Chéret pour la danse serpentine de la fameuse Loïe Fuller. Le mouvement est délicieusement décliné selon la mode Art Nouveau alors en vogue.
Loïe Fuller fut l’objet d’une de mes séries de tableau. La femme me fascine (voir l’article suivant « Mes inspirations »).
Pour ses spectacles, elle exploitait les toutes dernières inventions de son temps, l’électricité, avec la mise en place de projecteurs colorés. Elle fit de nombreuses émules dont cette danseuse filmée par les Frères Lumière.
Nous sommes partis avec deux arts, la peinture et la danse, main dans la main, nous arrivons escortés de quatre à l’aube du 20ème siècle, la photographie et le cinéma nous ayant rejoints.
Trop d’envolées, trop de marches dans ce siècle magnifique pour la peinture. Je voudrais partager avec vous un poème de Prévert « La promenade de Picasso » dit par Yves Montand. Pour moi, tout y est dit de la peinture à cette époque.
Car notre amie la photographie a libéré les peintres de la fonction de représenter le réel. La peinture a fait le mur et revêtu tous les costumes : cubisme, surréalisme, expressionnisme, abstraction…
La danse – Henri Matisse
Parmi tant de courants en ce début de 20ème siècle, je choisis une seule peinture : « La danse » de Matisse. Tout est dit de la liberté décomplexée pris par ce siècle avec les contours, le dessin, la couleur.
Ce tableau peint à l’apogée du fauvisme est une ode à la vie, à la joie et à l’abandon physique, le pont idéal vers le 2ème volet de ma réflexion…
Les personnages sont ambigus : ni leur expression faciale, ni leur sexe ne sont clairement définis. L’immense toile (260 cm sur 391 cm) semble plate, sans profondeur, et se concentre uniquement sur les figures dansantes. Je me demande si ma peinture ne lui devrait pas « un peu » quelque chose ?
Je ne dis pas qu’il n’y ait rien eu de peint depuis ce tableau à propos de la danse, mais rien qui me semble aussi novateur, rien qui me touche autant. Un nom hors peinture et hors danse me vient : Bill Viola. La façon de jouer avec les corps et leur position dans l’espace/temps remue en moi une émotion qui a à voir avec ce que je ressens de la danse.